Comme pour écouter les adultes qui leur serinaient que « autrefois on savait s’amuser avec un rien », certains élèves se sont mis à développer une imagination débordante en créant de ces quelques artefacts un terrain de jeu… pas toujours équitable :
- Personne ne voulait par exemple subir le « coup de l’arbre » mais ce n’était pas une option : on ne réalisait qu'on était choisi que quand on était soulevé par les bras et les jambes par quatre bourrins et qu’on se faisait emmener au trot, dos au sol, cuisses écartées, les bouliches en direction de l’arbre le plus proche. Ouch. Ça ne m’étonnerait pas que certains d’entre nous aient encore de l’écorce dans les bourses. D'ailleurs moi-même... mais c'est une autre histoire.
- Quant aux bancs, sur lesquels on tenait assis à cinq, ils posaient un problème mathématique quand on se retrouvait en groupe de six. Problème qui se réglait rapidement par le Fouet. Le dernier arrivé, n’ayant pas de place pour s’asseoir, allait chercher une branche dans les buissons pour fouetter le dos de ceux qui étaient arrivés les premiers. Celui qui ne supportait plus la douleur et n’arrivait plus à faire semblant de discuter tranquillement devait alors se lever et échanger sa place avec le fouetteur, le perdant étant celui qui se tenait debout à la sonnerie de fin de récré…
- Si tu as suivi mon raisonnement tu sais qu’il ne me reste à parler que des deux pauvres tables de Ping-pong en béton sur lesquels jouaient quelques dizaines d’acharnés. Et sur lesquelles ceux qui ne voulaient pas jouer montaient pour essayer d’écraser les balles que les sixièmes avaient achetées avec leur argent de poche. Âge ingrat que celui-là !
C’est là que les John et John, loin de se douter qu’ils deviendraient assez proches pour sceller leur amitié en buvant chacun une grenouille dans une choppe de Manzana (mais ça, c’est une autre histoire), se sont parlé les premières fois. S’ils avaient été deux banals élèves de sixième la conversation se serait résumée à « tu veux jouer ? » ou à « c’est ton tour ! », mais on se serait fait chier comme des rats morts et je ne serais pas en train d’écrire les conneries de ces deux dégénérés. Nan, en fait il y eut moins de mots que de gestes puisque John Bigs passait sans se lasser des récrés entières à prendre les cercles du motif de l’arrière du blouson de John John pour cible et à y jeter des cailloux.
La légende veut que des années plus tard, interrogé sur sa conduite puérile, il justifia sa conduite par les mots : « mais quelle idée aussi d’avoir une cible dans le dos ! »…
Deux ados, des cailloux dans le dos, des prises de Judo qui n’existent pas dans la vraie vie, si on regarde bien c’était plutôt mal barré. Et quand Bigs fait la gueule ça peut durer assez longtemps pour qu’il ne se rappelle même plus pourquoi. Après s’être retrouvé par terre dans la cour devant tout le monde, il a fait la gueule comme lui seul sait le faire : pas un mot, pas un geste, pas un regard, mais en continuant à fréquenter les mêmes potes qu’il avait en commun avec John-John. Royal. Du grand art. La légende dit que la situation a duré comme ça pendant plus de cinquante ans pendant lesquels John-John tendait la main tous les matins dans le vent, gardait du rabe de frites le midi pour rien, recopiait des codes de jeux vidéo dans les magazines pour les donner en gage de paix… sans résultat aucun. Mais la légende se goure, car le petit Grignotte avait invité ses amis à sa boum d’anniversaire et il tenait à TOUS les voir, malgré le conflit qui continuait de durer sans cesser de ne pas s’arrêter. Et comme la réponse de chacun des intéressés était « je viens, sauf si il vient », il a dû sacrément bien négocier pour que les deux se pointent et se retrouvent dans une même pièce sans y être obligés par le règlement du collège…