Contrairement à ce qu’on peut penser, peut-être que
l’amitié, la vraie, n’est pas une question de confiance absolue. Peut-être
qu’il n’est après tout question que de connaître son ami assez bien pour savoir
où doit s’arrêter la confiance qu’on lui porte. Bien sûr, ça, c’est pour les grands
discours philosophiques pour lesquels on te donne quatre heures le jour du BAC
parce que quand cet ami t’envoie une poire en pleine gueule t’aimerais bien
avoir quatre heures pour réagir !
La mère et le beau-père de John Bigs,
Carole et Jean-Paul, avaient après de nombreux déménagements atterri à
Chaillevette, bled paumé dans la campagne de Charente-Maritime où leur maison
et le terrain qui l’entourait était devenu un lieu idéal pour les John et John.
Idéal pour les beuveries monumentales où l’un sauvait la vie de son pote grâce
à une tranche de brioche et où l’autre dessinait en tondant la pelouse de
gigantesques bites en pâquerettes visibles par tous les touristes emmenés en
hélicoptère (mais ça, ce sont d’autres histoires !).

C’était
avant tout un lieu idéal pour se reposer en partant ou en revenant de vacances
dans le sud (parce que oui, depuis le temps qu’on s’en étonne, autant l’admettre :
les vacances, ça crève !) ; pour accueillir encore plus de monde à
boire et à festoyer que dans leur coloc’ ; pour venir rigoler le temps
d’un week-end prolongé ; ou simplement pour se retrouver au calme, s’asseoir
sur le toit et regarder les étoiles en refaisant le monde. Un lieu aussi où
John Bigs se sentait libre de faire encore plus le con que d’habitude et
repoussait ses limites _déjà difficiles à apercevoir_ pour le plus grand
bonheur de ses sœurs et de John-John (et de ses parents aussi, bien qu’ils
n’aient pas dû l’avouer souvent) !
Une fois positionné ton esprit en mode no-limit, justement, tu ne te poseras
plus la question de savoir comment peut commencer une bataille de fruits. Tout ce qu’il te faut savoir c’est que quand ils arrivaient là-bas, après
les quelques minutes nécessaires à John Bigs pour dire bonjour à la famille et
poser son slip et sa guitare, tout pouvait arriver. Ce jour-là se sont donc
retrouvés ses deux sœurs Jul’ et Boubou, ses potos Julien et John-John et lui à
se balancer à travers le jardin des pommes et des poires tombées des arbres…
Seulement ses sœurs, comme lui, ne sont jamais à court d’idées pour ce qui est
de faire de la merde et il aura suffi de deux essais à Juliette pour se tailler
avec une solide tige de bambou un formidable lance-poire lui permettant
d’envoyer des fruits durs comme sa tête si vite qu’ils explosaient (littéralement)
contre un mur pourtant situé à 30 mètres d’elle…
A la vue d’une telle arme chacun s’était
alors taillé une tige qu’il plantait dans le fruit pour ensuite le projeter sur
ses adversaires à une quinzaine de mètres de là (sans pour autant réussir à
bien viser très souvent). Quand les fruits (entiers) vinrent à manquer, la
bataille était finie, mais pas la connerie !
Un moment après le « cessez-le-feu »,
John-John revenait de la voiture avec sa guitare sur le dos pour la ranger dans
la maison quand quelque chose attira son attention : c’était John Bigs
qui, s’étant approché à deux mètres de lui, tenait en joue son bambou armé
d’une poire plus dure que sa bite (et ce n’est pas peu dire, mais ça,
c’est une autre histoire) :
« Eh,
regarde John, je sais viser maintenant !
-
C’est ça, ouais ! Arrête, John, tu sais bien comment ça va fi… »
PAF !
La poire avait volé trop vite pour
que John-John finisse sa phrase ; la seconde suivante sa guitare était
tombée à terre et lui se tenait à genou dans l’herbe, les mains appuyées contre
son œil pour ne pas qu’il tombe aussi, complètement sonné, incapable de bouger
si ce n’est pour se rouler sur la pelouse dans un profond gémissement de
douleur.
Difficile de dire qui de John ou des
morceaux de poire avait touché le sol en premier. Bigs lui-même ne savait plus
s’il devait rire de sa prouesse ou essayer d’aider son pote à se relever !
Ils firent finalement les deux :
« Putain,
John, je suis désolé ! Ça va ? Au moins maintenant tu sais ce que ça
fait de se prendre une poire !
-
Oh, si tu crois que t’es marrant, tu te mets le doigt dans l’œil ! »
…
Et c’était parti pour un après-midi de jeux de mots pourris.
La vue de John mis un moment avant de
revenir. Et d’abord d’un seul côté (la légende veut que de l’autre côté ça ait
mis plus de cinquante ans à revenir, mais on n’en sait rien parce qu’ils n’ont
pas encore cet âge-là)... Tandis qu’il s’appliquait à suivre les conseils de
Jean-Paul en s’asseyant pour garder de la glace appuyée autour de l’œil percuté,
il essayait, de l’autre, de regarder un film. De profil. Aveuglé. Déconcentré
par les vannes de Bigs qui aurait mieux fait d’aller s’entraîner à viser.
Bientôt Carole revint de la pharmacie du village avec une pommade dans la main
et un large sourire qu’elle n’arrivait visiblement pas à dissimuler :
« Quand
le pharmacien m’a demandé ce qui s’était passé je lui ai dit que mes gamins
jouaient à se lancer des fruits dans le jardin et que ça a mal fini… Alors il
m’a demandé quel âge avaient mes enfants et tout le monde a rigolé quand j’ai
répondu qu’ils avaient 25 ans ! ».
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